Elle inspira longuement avant de sortir ses clefs de sa sacoche et de doucement tourner la poignée de la porte de son immense pavillon. Les Shirayuki étaient de "nouveaux riches".
En défaisant les lacets de ses chaussures qu'elle retirait à l'entrée, elle s'autorisa un coup d'œil à la grande horloge de style baroque décorant le gigantesque salon au style architectural un peu gothique. Elle indiquait 19h00. Rassurée de voir qu'elle ne s'était pas trop attardée, en tenant compte du fait qu'elle était censée être là à 17h00, elle manifesta sa présence d'un timide "Je suis rentrée"...
Sa mère sortit de la cuisine d'un pas gracieux pour l'accueillir, un léger sourire bienveillant sur son superbe visage.
"Tu es en retard, fit-elle remarquer à sa fille.
- Désolée"
Sayuri lissait avec insistance la jupe plissée de son nouvel uniforme, signe qu'elle était visiblement mal à son aise.
"Que se passe-t-il, Eowyd ? Tu veux me parler de quelque chose ?
- A vrai dire, oui. C'est un peu ridicule et il se peut que tu me grondes de croire à n'importe quoi, mais j'y tiens."
Les yeux de sa mère s'illuminèrent et ses lèvres se fendirent en un plus large sourire, réjoui. Elle intima à sa fille d'aller sa soir sur le grand sofa vert sapin et appela son père.
"Merde, se dit-elle. Ca donne l'impression qu'ils se réunissent pour m'annoncer un gros truc foireux, genre, j'vais avoir un monstre de petit frère ou autre."A moins que sa mère n'est compris qu'on lui avait appris qu'elle était une...espèce de fée...et qu'aujourd'hui était le jour où officiellement, on le lui confirmerait. Elle ne pouvait plus attendre davantage. Les mots se bousculaient dans sa bouche.
"Euh...ce matin, des espèces d'ailes de papillons m'ont poussées dans le dos...Je sais pas trop ce que c'est, mais ça me fait très mal."
Elle avait pris une voix bizarrement enfantine.
"Et puis, poursuit-elle, j'ai rencontré notre nouveau voisin qui a fait apparaître une lance, qui m'a dit ne pas être humain et toutes les créatures rencontrées dans les mythes existent et qu'on en fait parti...Que je suis une sorte de fée...Enfin, rassurez-vous, je n'y crois pas vraiment, hein, mais peut-être devrais-je aller voir un médecin pour qu'on me guérisse ce que j'ai au dos ? Ah, mais j'y pense, l'infirmière de ce lycée ne semblait rien voir et..."
Elle dut s'arrêter, les yeux écarquillés, quand sa mère la prit soudainement dans ses bras. Elle lui chuchota à l'oreille :
"De mère en fille, la race féérique se poursuit. Nous pouvons voler, bénir ou maudire des personnes grâce à notre réserve de poudre cristal générée par notre désir de nous sentir utile, notre dévouement, notre envie de nous sentir utile, capable de changer les choses, de nous comprendre soi-même, de comprendre les Hommes, aussi. Ta vie commence aujourd'hui même, car aujourd'hui, tes origines celtiques émergent, tes pouvoirs aussi. Ton nom de fée est Eowyd, comme tu dois t'en douter. Ton espérance de vie, par contre, se situe aux alentours de 50 ans, bien que sensiblement, tu conserveras le physique d'une jeune fille de 25 ans. Ton apparence de fée restera toujours la même. Transformée, tu pourras jeter toute sorte de sort, mais ça ne pourrait toujours fonctionner. La conception du nécessaire est plutôt ambigüe, et certaines incantations qui pourraient te sembler futile fonctionneront tandis qu'en "cas de force majeur", non. Il faut du temps avant de réussir à comprendre pourquoi un sortilège que tu as lancée est jugée plus indispensable qu'un autre. Nos pouvoirs sont compliqués, mais ont le fabuleux don de protéger le fragile bonheur des gens ou de ruiner leurs vies, au choix. Transformée, tu seras invisible aux yeux des humains et mesurera une dizaine ou une quinzaine de centimètres. Je te préviens juste : tu commenceras par avoir du mal à contrôler tes transformations, alors fait attention."
Elle se défit de l'étreinte de sa mère. Tout cela paraissait sincèrement fantastique, certes.
"Maman...Au risque de te décevoir, je suis désolée de te dire que je souhaite rester humaine."
Son père, lui qui arborait toujours une expression si impassible, neutre, semblait touché, et suite à la réponse plutôt radicale de Sayuri, il lâcha :
"Avant de décider, tu devrais au moins essayer de te transformer.
- J'estime tout de même avoir le droit de choisir seule la personne que je souhaite être ! clama-t-elle, énervée."
Ni une, ni deux, elle fonça renfiler ses bottines en saisissant au passage une paire de ciseaux aiguisés et sortit de chez elle sans mot dire.
Le calme de sa mère la déconcertait terriblement.
Elle l'entendit susurrer, lorsque la jeune fée quitta sa demeure, quelque chose du genre "Alors notre nouveau voisin est une chimère...".